Paris, printemps 2005.
Je suis étudiante. On déjeune sur une pelouse au soleil.
Alors que je croque dans mon sandwich de bon appétit, un ami me dit :
« Tu serais tellement parfaite avec dix kilos de moins. »
C’était gratuit.
Hors contexte.
Nous n’avions jamais parlé de corps, ni d’apparence.
Il n’y avait entre nous ni ambiguïté, ni intimité particulière.
Et soudain, ce commentaire.
S’ensuit la litanie du "je dis ça pour ton bien".
J’avais l’intuition que ce n’était pas complètement ok, mais j’étais encore pleine de grossophobie et de sexisme intériorisé.
Je me suis convaincue qu’il n’avait pas tort, au fond.
Avril 2015.
Je marche pour rentrer chez moi. Je pèse les fameux dix kilos de moins.
Au prix d’efforts surhumains.
Six heures de sport par semaine. Des vomissements quasi quotidiens.
Je passe devant une station de tramway. Une bande de Jean-Michel attend.
L’un d’eux ne peut pas s’en empêcher :
"Pas mal du tout, assez sexy même. Un peu de sport pour tonifier tout ça et je t’épouse direct."
Rires gras de ses congénères.
Je suis seule. Il est tard. Ils sont cinq.
Pas la force, pas l’énergie, pas l’envie de prendre le risque.
Je rentre en serrant les dents.
Il n’a aucune idée de ce que ça m’a coûté d’en arriver là.
Et dans ma tête, une voix explose :
Tu n’y arriveras jamais.
Je fais une crise de boulimie en rentrant chez moi.
Printemps 2025.
Je suis de passage à Paris. Je m’arrête devant une vitrine de pâtisserie. Un éclair au sésame noir me fait de l’œil.
Je me mets dans la file d’attente.
Et derrière moi, un client — sorti tout droit d’une pub The Kooples — m’interpelle :
"Est-ce bien raisonnable, Mademoiselle ?"
Je ne dis rien. Il insiste :
"Vous êtes une jeune femme très séduisante..."
Gros blanc. Il ajoute :
"Pour l’instant."
Je pète un câble. Il va prendre pour tous les Jean-Michel précédents (et il y en a eu beaucoup trop).
« Je vais vous demander de me laisser tranquille maintenant.
Un commentaire non sollicité est une agression.
Nous sommes dans l’espace public : si vous étiez moins riche et moins blanc, on appellerait ça du harcèlement de rue. Mais voilà, vous portez un jean à 400 balles. » et la vendeuse d’ajouter « tout va bien Madame ? » . Jean-Michel grommelle et je ressens un immense soulagement.
OMG le bien que ça m’a fait de dire cette phrase.
Le bien que ça m’a fait de dire : STOP.
Nos corps ne sont pas des biens publics.
Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est la régularité du phénomène.
Ces remarques ne sont pas des accidents, ni des maladresses.
Elles sont le symptôme d’un conditionnement profond : celui qui nous rend malades et qui pousse de trop nombreux hommes cis à penser qu’ils ont un droit de regard sur nos corps.
Un droit de parole, d’évaluation, de commentaire. Comme si nous étions leurs possessions. Comme si notre apparence leur devait quelque chose. De la discrétion. De la minceur. Du contrôle.
NOUS NE LEUR DEVONS RIEN. C’est eux, qui nous doivent le respect de nos intimités. Nos corps, nos choix.
J’ai mis de trop nombreuses années à m’en rendre compte et c’est pas toujours simple. Et toi ?
Est-ce que tu as déjà reçu, toi aussi, des remarques totalement gratuites, non sollicitées, de la part de gens que tu ne connaissais même pas ?
Dans la rue, au boulot, à la salle de sport ? Ou même dans un cercle connu, tes copaines ou ta famille ?
Tu peux m’écrire. Je lis tout. Et souvent, je me dis qu’on est beaucoup trop nombreux·ses à avoir vécu ça.
Ces commentaires sont une violence qu’il est important de nommer car nous pouvons sortir collectivement de la sidération. Se réapproprier nos corps fait partie inhérente d’un chemin de guérison. Apprendre à refuser les commentaires (même déguisés en compliments). Si tu as des exemples d’anecdotes ou de réponses, je prends aussi ! Donnons-nous de la force 💜
✉️ Le Courrier du Ventre
🧻 les femmes sont plus constipées (et ce n’est pas un hasard)
Je te présente mon Courrier du ventre, brillante idée signée Marion Olharan Lagan qui va elle-même inaugurer avec une question d’importance :
J’ai lu que les femmes étaient en moyenne plus sujettes à la constipation que les mecs. C’est vrai ? si oui, pourquoi ? Je trouve ça triiiiiste.
Oui, c’est vrai.
Les femmes (cis, dans les études qu’on a — les autres sont, comme souvent, invisibilisées) sont en moyenne plus constipées que les hommes.
Presque deux fois plus, même. (19,7 % contre 10,6 % ) selon une étude publiée dans le Journal of Neurogastroenterology and Motility .
Mais pourquoi ?
Spoiler : ce n’est pas une question de “fragilité”. C’est une combinaison de facteurs biologiques, mais surtout …sociaux et structurels.
🧬 La biologie
Les fluctuations hormonales (œstrogènes, progestérone) ont tendance à ralentir le transit, en particulier pendant les menstruations, la grossesse ou la ménopause.
À cela s’ajoute une particularité anatomique peu connue :
le côlon des femmes est en moyenne plus long que celui des hommes. Cela signifie un trajet plus sinueux, plus lent, qui favorise l’absorption d’eau… et donc des selles plus sèches, plus dures, plus difficiles à évacuer.
💬 Le conditionnement social
On apprend très tôt aux filles à se retenir :
de péter, de dire non, de prendre de la place, de poser leur cul où elles veulent.
Combien d’entre nous se sont déjà dit “je me retiendrai jusqu’à chez moi” parce que "ça se fait pas" ? Combien ont ignoré l’appel du corps pour ne pas déranger, pour rester “présentable”, pour ne pas être celle qui “fait caca au boulot” ?
Ce comportement a même un nom : le syndrome de la princesse, ou poop-shaming.
Selon une étude de l’IFOP, 61 % des femmes en souffrent, contre 47 % des hommes .
Résultat : on se retient, on souffre, et on finit par croire que c’est normal.
🚻 Et l’infrastructure dans tout ça ?
L’accès aux toilettes publiques, propres, gratuites et sécurisées reste très inégal.
Dans l’espace urbain, les toilettes sont :
plus rares,
souvent payantes,
ou conçues sans prendre en compte les besoins spécifiques des femmes.
Et dans les lieux professionnels ? Il suffit de voir le nombre de bureaux ou d’écoles où il n’y a qu’un seul WC partagé, sans intimité ni ventilation… pour comprendre que se retenir devient une habitude intégrée dans le corps.
Les femmes ont besoin de plus de temps aux toilettes (cycles menstruels, grossesse, post-partum…), mais elles sont souvent en infériorité d’équipement :
dans l’espace public, il y a moins de cabines pour les femmes, et même quand il y en a autant, il y a plus de files d’attente, moins d’intimité.
Et pour les personnes trans, non-binaires ou intersexes, l’accès aux toilettes peut carrément devenir dangereux ou humiliant.
💬 Le Mot de la Faim
Accéder à des toilettes sûres, propres, accessibles et pensées pour tous les corps n’est pas un luxe : c’est un besoin fondamental, et un droit trop souvent nié selon le genre.
Alors oui, c’est triste. Mais c’est aussi — une fois encore — profondément politique. Et la bonne nouvelle , c’est que chaque personne qui prend conscience de ces injustices nous rapproche du changement💜 .
On va continuer à parler. À nommer. À refuser de se retenir — au sens propre comme au figuré. D’écouter nos besoins. De prendre de la place ✊
Zina
ps : Tu peux m’envoyer des questions pour le Courrier du Ventre en réponse à ce mail ou en commentaire sur Substack 💜
Merci pour cette réponse qui m’atterre encore plus. Je pense aussi aux mères qui ne peuvent pas aller aux toilettes seules quand les enfants sont petits - parce qu'elles ont toute la charge d'élever ces enfants, en couples hétéro notamment-. C'est un cercle sans fin !
Merci pour votre témoignage, j'ai imaginé la scène dans la boulangerie, ça m'a fait tellement de bien ❤️🔥 Dans ma vie, j'ai vécu des périodes de maigreur, de rondeurs, des périodes où mon corps était très dans la norme, et j'ai pu constater que ça ne changeait absolument rien. Les commentaires perduraient. J'étais toujours trop ou pas assez. Mon corps, mais aussi mes cheveux, ma tenue, ma posture, mon comportement, mon humeur, mes paroles, mes choix - tout a été sujet à des commentaires, plus ou moins violents. Au fil du temps, j'ai pris le réflexe de couper court, parfois de façon agressive.
Récemment un homme de mon âge (50 ans), commentait une jeune fille qui baissait les yeux dans le métro. J'ai dis, fort : Vous voulez aller répéter vos propos devant un tribunal ? Les regards se sont tournés vers lui et c'est lui qui a baissé les yeux.
Bien-sûr j'ai des moments où je n'ai pas la force de réagir et je subis. Soutenons-nous, ensemble nous sommes plus fortes!